Il vient de loin le gaillard. Il y a 40 ans de cela, il est apparu dans la colère et les larmes, à grands coups de pelleteuses et de mobilisations. Pancartes de cartons contre dents de métal. Boucliers humains contre chenilles mécaniques.
À la toute fin des années 1970, les maisons, les écoles, les édifices religieux, les chemins de pierres, les allées d’arbres... le village de Naussac et neuf hameaux voisins sont rasés par les engins. En 1980, un barrage est élevé pour contenir une retenue d’eau forte de 190 millions de mètres cubes. Trois ans après, en 1983, les vannes du mastodonte de béton sont ouvertes. Cette date marque la première perfusion au profit de « la dernière rivière sauvage de France », l’Allier.
Pour des millions de personnes
Outre pour le développement des activités nautiques et touristiques, à qui sert cette immense retenue d’eau aux portes de Langogne ? À d’innombrables personnes. Langeac, Brioude, Vic-le-Comte, Clermont-Ferrand, Vichy... des dizaines de communes puisent dans l’Allier pour leur eau potable. Du côté de Nevers, l’Allier et la Loire s’accouplent pour traverser le Cher où les attendent la centrale nucléaire de Belleville, suivie de trois autres disposées en aval. L’eau est alors abondamment utilisée pour refroidir les réacteurs atomiques, manœuvre aussi nécessaire que cruciale.
Les vases communicants...
À qui d’autre encore ? Aux cultures agricoles. Et c’est là que le bât blesse. Si la retenue d’eau de Naussac est un cœur, la rivière Allier est son artère. Si le cœur est à l’agonie, c’est aussi parce que son artère est outrageusement pompée. Pour l’eau potable des villes et le refroidissement des centrales, c’est donnant/donnant. L’eau est récupérée dans cette artère de sang bleu puis remise en très grande partie dans son corps.
... et le roi maïs
Pour les cultures, et notamment celle du maïs qui recouvre de très larges surfaces tout le long de la rivière Allier, c’est un aller simple. L’eau est utilisée à grandes lampées d’hectolitres pour servir le roi maïs, vampirisant la veine à tout va, sans restitution aucune à l’artère mère.
D'après un article de l'Auvergne Agricole, en 2020, 6 235 hectares de maïs semences ont été cultivés en Limagne (grande plaine située au centre de l'Auvergne, essentiellement dans le département du Puy-de-Dôme à proximité de la rivière Allier), par 320 producteurs. Ce chiffre correspond à une augmentation de 300 hectares des surfaces de maïs par rapport à 2019.
Au plan national, il y a eu, en 2020, 78 500 hectares de maïs semences cultivés contre 69 000 hectares l'année précédente. Limagrain, coopérative agricole d'envergure mondiale installée en Limagne, a augmenté de 10% sa surface totale de maïs en France Europe.
« Le vrai problème du maïs, c’est d’exiger de l’eau en été »
Selon des données du CNRS, 1 kilogramme de maïs grain nécessite environ 454 litres d’eau pour être produit. Ce qui est moins, c’est vrai, que l’orge avec 524 litres, le blé (590 litres), ou encore le soja et ses 900 litres.
Mais, comme le souligne dans un article du Monde, Marc Dufumier, agronome et professeur honoraire à AgroParisTech : « Le vrai problème du maïs, c’est d’exiger de l’eau en été. C’est une plante tropicale. Et sous les tropiques, les saisons chaudes c’est la saison des pluies. Chez nous, les saisons chaudes sont les saisons où il pleut le moins »
Les semis du maïs sont mis en terre entre avril et mai et la plante grandit entre juin et août. Ce n’est donc pas tant la quantité d’eau que nécessite cette culture qui pose problème mais la période de l’année où elle a besoin d’être irriguée.
Selon l’Agreste, 35,1 % des surfaces cultivées de maïs grain ont été irriguées, contre 4,8 % des surfaces de blé et 4 % pour les autres céréales (Chiffres de 2021).
65 « lacs de Naussac »... pleins
Depuis sa naissance, le barrage de Naussac procède à des soutiens d'étiages. Ce sont les lâchers d’eau pour alimenter la rivière Allier de façon importante. En moyenne, ces soutiens atteignent 7 m³ par seconde, soit 20 millions de m³ tous les mois.
Or, l'Établissement Public Loire estime dans une étude qui porte sur l'année 2019 que les soutiens d'étiages de Naussac et Villerest (Département de la Loire) ont bénéficié à 65 000 hectares de cultures irriguées. 65 000 hectares, c’est l’équivalent de la surface de 65 « lacs de Naussac »... pleins.
Changer notre système de consommation et tenter de sauver les artères et les cœurs de la Terre ou continuer de couper à la tronçonneuse la branche sur laquelle nous sommes tous assis ?
Avoir ou ne pas avoir, telle est la question
Sur plus de cent kilomètres dans la région clermontoise, la Limagne étire ainsi ses longs champs de céréales. Toujours selon l’EPL, pendant les périodes de soutiens d'étiages de 2019 particulièrement durant les saisons sèches, l’agriculture a, en ce sens, consommé pour 65 % de l’eau puisée dans l’Allier.
L’argument de poids pour continuer cette ponction, en totale déconnexion avec les enjeux climatiques d’aujourd’hui, reste toujours le même. Cette irrigation à marche forcée a permis de générer 120 millions d’euros de denrées.
La question est alors celle-ci. Quelles sont les priorités ? Changer notre système de consommation et tenter de sauver les artères et les cœurs de la Terre ou continuer à couper à la tronçonneuse la branche sur laquelle nous sommes tous assis ?