Loi sur la fin de vie : "Les professionnels de santé soignent, ils ne tuent pas"

Par Clara Serrano , Mise à jour le 20/06/2024 à 06:00

Mis en pause par la dissolution de l'Assemblée nationale annoncée par Emmanuel Macron ce 9 juin, le débat et l'étude de la loi sur la fin de vie a tout de même bien eu lieu pendant plusieurs jours. Mais alors qu'ils font partie des premiers concernés, les soignants sont souvent oubliés des discussions. Pourtant, ils n'hésitent pas à s'y opposer, rappelant leur mission première : « soulager et soigner plutôt que tuer ».

À la suite des élections européennes ce 9 juin, et face au résultat du Rassemblement National, Emmanuel Macron déclarait la dissolution de l'Assemblée nationale. Une décision qui a eu pour effet la suspension immédiate de toutes discussions sur les projets de loi en cours à l'Assemblée nationale. 

Retour tout de même sur l'un d'eux : le projet de loi sur la fin de vie. Annoncé par Emmanuel Macron en 2022, il a été précédé d'un avis du Comité consultatif national d'éthique, en faveur d'une "aide à mourir" strictement encadrée, et à condition que soient également renforcés les soins palliatifs. 

Cet avis a permis la création du débat au sein de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui s'est prononcée pour l'ouverture conditionnée d'une aide active à mourir, et plus précisément à la fois du suicide assisté et de l'euthanasie.

Pourtant, les professionnels de santé ne sont pas tout à fait ouverts à cette évolution. 

Que prévoit cette loi ?

Le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 10 avril 2024. Il est composé de deux titres, le premier portant sur les soins d’accompagnement et les droits des malades et le second sur l’aide à mourir.

Selon le Gouvernement, ce projet de loi « [dessine] un cadre permettant un point d’équilibre entre le renforcement de l’accompagnement des patients et de leur entourage, et l’ouverture d’une aide à mourir pour des personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables induisant des souffrances insoutenables et réfractaires aux thérapeutiques ».

« Soigner, guérir, soulager, prévenir. »

Dans une tribune communiquée à la presse, le professeur Gilles Aulagner, président honoraire de l'académie nationale de Pharmacie s'oppose fermement à cette loi sur la fin de vie. 

« Il est important de rappeler que « l’aide à mourir » est un subterfuge lexical qui désigne à la fois le suicide assisté et aussi l’euthanasie avec l’accord du malade ».

« La très grande majorité des personnels soignants au contact direct des patients en soins palliatifs, en fin de vie ou en train de mourir sont fermement opposés à ce volet du projet de loi. »

Un peu plus loin, il souligne ainsi : « Aujourd’hui, le pharmacien est l’expert des produits de santé pour soigner les patients, les guérir (lorsque c’est possible), soulager leurs douleurs, éviter les effets indésirables iatrogènes, prévenir les maladies aussi bien infectieuses (vaccinations) que métaboliques et toujours « garder les poisons », ce qui figure dans le serment de Galien prononcé par tous les pharmaciens, sans parler, bien-sûr, du volet fondamental de la Recherche. »

Le docteur Roland Rabeyrin lui, médecin généraliste au Puy-en-Velay et président du syndicat MG43 comprend la démarche : « Je peux très bien entendre que certains patients, se trouvant dans des situations très pénibles, de maladie incurable par exemple, ou de grande souffrance difficilement contrôlable, qu'elle soit physique ou psychologique, puissent faire appel à ce type d'intervention. »

« Ces activités sont quasiment incompatibles avec la préparation et la délivrance de substances à des fins létales dont le pharmacien n’a aucune expérience, ce qui modifierait profondément la relation avec les patients. »

Le professeur Gilles Aulagner cite par ailleurs Jean de La Fontaine dans sa fable La Mort et le Bûcheron : « Plutôt souffrir que mourir telle est la devise des hommes », avant de conclure : « Il nous paraît donc impératif (a minima) de rétablir la clause de conscience qui doit permettre, en tout état de cause, d’avoir un consensus véritable sur quelques besoins de fin de vie particuliers et de revenir à une rédaction plus conforme aux réalités du terrain. »

En effet, le médecin ponot revient sur le rôle premier du médecin. « Nous sommes assez régulièrement confrontés à l'accompagnement de patients en fin de vie. Notre mission à ce moment-là est d'apporter un maximum de confort à la personne. C'est ce qui prime sur tout le reste : je n'ai pas de scrupule à tout mettre en œuvre pour soulager le patient, y compris si le médicament en question lui fait perdre quelques heures de vie », précise-t-il avant de rappeler que l'on ne parle ici que de cas exceptionnels, dans lesquels "il n'y a plus d'espoir". 

« Mon éthique m'en empêcherait »

Mais il nuance tout de même : « Il y a une énorme différence entre tout préparer et mettre à disposition du patient pour qu'il "appuie lui-même sur le bouton" et le faire en tant que médecin. C'est pourquoi le droit de réserve est très important dans le cadre de cette loi. Tous les médecins ne sont pas capables d'effectuer cet acte, selon sa philosophie, ses propres croyances, son rapport à la mort ou encore son éthique. Personnellement, la mienne m'en empêcherait. »

L'importance des mots dans les maux

Justement, dans un communiqué de presse, l'Académie nationale de médecine s'oppose à cette proposition de loi relative à l'accompagnement des malades et à la fin de vie. L'organisme alarme d'ailleurs : « écarter les prérequis d'un pronostic vital engagé à court et moyen terme est un choix à hauts risques. »

On peut ainsi lire dans le paragraphe suivant : « Après l’avis "Favoriser une fin de vie digne et apaisée" de l’Académie nationale de médecine et le projet de loi sur "l’aide à mourir" du gouvernement, la Commission spéciale de l’Assemblée nationale a modifié la troisième condition d’accès à "l’aide à mourir" en substituant la mention d’affection grave et incurable "engageant un pronostic vital à court et moyen terme" par celle "en phase avancée ou terminale".

« Le risque de supprimer la frontière entre un état suicidaire et l’aide à mourir »

Selon l'Académie, la proposition de loi peut être dangereuse, car inadaptée. En effet, elle précise que ce terme de "pronostic vital" effacé risque d'inclure les personnes atteintes d'une maladie, "certes à priori incurable", mais avec laquelle il est possible de vivre longtemps. 

Enfin, l'Académie conclut en alertant « sur la proposition de la commission d’instituer un délit d’entrave à mourir et sur le risque de supprimer la frontière entre un état suicidaire et l’aide à mourir ».

 

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Vos commentaires

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7 commentaires

ven 21/06/2024 - 14:25

Ce qui est étonnant c'est que quand on un animal  de compagnie  à qui on tiens plus que tout au monde en fin de vie on a moins de scrupule pour l'euthanasie plutôt que de le mettre en soins palliatifs  (pour moi un animal et au même niveau qu'un humain )

Si on est en fin de vie sans espérance de survie autant abréger les souffrances selon la volonté  du patient

Pour moi l'euthanasie est aussi un soin , agonir dans un lit d'hôpital cela sert à quoi ?

Heureusement qu'il y a la Belgique

Car en France c'est sans espoir pour cet acte

 

ven 21/06/2024 - 12:27

Entièrement d’accord avec le précédent message (jeu 20 à 13:04) : le médecin ne peut pas donner la mort, cela détruirait la confiance médecin / patient, son métier est de soigner, d’accompagner une fin de vie faite de moments précieux, dignes, de soulager et de calmer efficacement la douleur mais pour cela il faut des moyens humains et financiers. Alors que l’euthanasie et le suicide assisté seraient beaucoup moins coûteux et représenteraient d’énormes économies à la Sécurité sociale, aux mutuelles et aux caisses de retraites, mais cela on s’est bien gardé de le médiatiser

jeu 20/06/2024 - 13:04

Il faut surtout donner des  moyens et du temps aux équipes en soins palliatifs. Le débat sur l euthanasie ne devrait pas en être un. Les soignants de patients en fin de fin sont là pour soulager et non pas pour donner la mort, mais si on accompagne efficacement, si on traite comme il faut avec les thérapeutiques qui existent, en augmentant peu à peu les doses, on accompagne vers la mort, non pas en donnant la mort mais en clamant correctement la douleur et les autres symptômes.pour cela cela il faut des moyens, du temps, de la formation

jeu 20/06/2024 - 10:36

Je ne comprends pas cette attitude de certains médecins. Après tout c est le patient qui est au centre de la décision. Moi même je me bat contre un hepatocarcinome  depuis 2010. Greffé en 2013 ma vie fut parfaite. J'ai pu connaître mes petits enfants.. malheureusement la maladie s'est porté sur mes poumons et je m affaibli de plus en plus. Je ne souhaite pas vivre la dégringolade. Je veux avoir le droit de choisir.... voilà 

jeu 20/06/2024 - 09:35

Il faut bien faire travailler les grands groupes pharmaceutiques qui dégagent de gros dividendes à leurs actionnaires et qui se fichent pas mal de la volonté des patients en fin de vie 

jeu 20/06/2024 - 08:44

Les volontés ultimes de l individu sont à respecter. Si le choix conscient à abréger des souffrances atroces et incurables est exprimé par un patient, alors on doit pouvoir le laisser partir en facilitant son décès dignement. Ces professionnels de santé semblent vivre sous le sceau de l église. M émancipation de l homme passe par la possibilité de choisir sa fin de vie. 

jeu 20/06/2024 - 08:06

On sent cet article empreint de Wauquieïsme et de parti pris religieux. Certes, les soignants ont pour vocation de soigner (et ils le font très bien) mais quand il n'y a plus d'espoir, ils n'ont pas pour mission de prolonger la souffrance. Le droit à mourir dans la dignité relève du choix de chacun mais il doit être rendu possible et j'espère que les radicalités politiques du moment n'empêcheront pas ce progrès social INDISPENSABLE.

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