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Proxénétisme et blanchiment d'argent : l'élu et sa compagne se défendent
L’affaire de suspicion de proxénétisme dans deux immeubles du Puy-en-Velay et de blanchiment d’argent a été présentée ce jeudi au Tribunal judiciaire du Puy. Marc Boléa et Marie-Line Roux ont ainsi pu s’expliquer sur leurs agissements concernant ces établissements.
Le procès qui a eu lieu ce jeudi 25 février 2021 n'a évoqué qu'une seule affaire. Il a duré près de six heures pour se terminer un peu avant 20 heures. Les audiences se sont conclues après les plaidoiries des avocats de la défense, le célèbre Maître Antoine Vey au nom de son client Marc Boléa et Maître Aurélie Chambon pour Marie-Line Roux.
Les deux prévenus sont accusés d'avoir favorisé l'exercice de la prostitution pour l'une et de recel, blanchiment et complicité pour l'autre ainsi que pour avoir eu recours lui-même aux services de plusieurs prostituées. Or depuis 2016, la loi punit d'amendes les clients de la prostitution.
Quels mandats d'élu ?
Marc Bolea est conseiller départemental du canton du Puy-en-Velay 1. Sa vice-présidence et sa délégation aux sports et à la sécurité ont été suspendues, de même que sa présidence du Conseil d'Administration du Service Départemental d'Incendie et de Secours (SDIS 43). Il est aussi conseiller municipal de Vals près Le Puy passé dans l'opposition aux dernières élections pour un 4e mandat municipal, précédemment il était adjoint valladier aux travaux. Depuis 2017 et la campagne présidentielle, il avait démissionné de l'UDI.
C'est suite à une intervention matinale des hommes du SRPJ de Clermont Ferrand en décembre 2020 qu'est née l' "affaire Boléa". L'élu est connu sur la place. La presse, y compris nationale, a fait ses choux gras de l'histoire. C'est en substance ce qu'a expliqué Maître Antoine Vey, jeune ténor du barreau parisien originaire du Puy-en-Velay et ex-associé du cabinet du ministre actuel de la Justice Eric Dupond-Moretti, ce jeudi 25 février après-midi. "On a l'impression que cette affaire a un énorme retentissement que parce qu'on est dans une petite ville où il ne se passe finalement pas grand-chose. Et quand je dis petite ville, ce n'est pas péjoratif puisque j'en suis moi-même originaire. Et que j'en suis fier".
“Je dirais juste qu’on a tous les deux payé très cher, ne serait-ce que la privation de se voir pendant 96 jours. On a fait des erreurs, on paiera, c’est normal. Mais il faut prendre en considération la personnalité de Marie-Line et tout ce qu’elle a fait au service des défavorisés et des exclus tout au long de sa vie”. Marc Boléa
Des débats douloureux mais apaisés
La prévenue est la première à affronter les questions de la présidente Anne-Cécile Guignard et du vice-procureur Rodolphe Part. « Vous avez affirmé dans un article de l'Eveil en 2018 que vous n'étiez au courant de rien des activités de vos clients, commence la juge du tribunal. Est-ce que vous maintenez cette déclaration ? ».
La propriétaire des immeubles de la rue de la Gazelle et de l'avenue Foch ainsi que du bar-restaurant-hôtel du Régional répond alors : « J'avais une clientèle modeste. Je travaillais aussi avec l'association Tremplin, la préfecture, le département, le 115. Je logeais les jeunes migrants. Tous les jeunes que je vois encore aujourd'hui me connaissent et me disent bonjour ». Elle continue : « J'ai bénévolement lavé, séché, plié, repassé le linge des enfants. Mes clients étaient aussi des pèlerins de Saint-Jacques ou des personnels d'entreprises. Je ne me mêlais pas de leur vie. Je n'étais au courant de rien. »
"Je suis certainement responsable de ce qu'on me rapproche et j'en souffre énormément. J'ai perdu ma famille. J'ai perdu mon travail. Mais je n’ai jamais favorisé quoi que ce soit qui se rapporte à la prostitution." Marie-Line Roux
La voix éraillée, elle partage le quotidien de son activité : « J'ai peut-être perdu pied à un moment donné. Je faisais beaucoup de social. J'ai toujours fait en sorte que personne ne soit à la rue. Mais je n'ai jamais participé, absolument jamais, à quelque chose qui puisse favoriser la prostitution. Assurément, j'ai certainement plongé trop profondément dans le social mais, pas dans la prostitution ».
La prévenue détricote lentement le fil de ses ressentis : « Il est vrai qu'à la fin, j'étais débordée. C'était compliqué de savoir qui est qui. Je n'ai jamais fait quoi que ce soit contre les intérêts d'une personne. Je n'ai jamais pensé un seul instant faire du mal à ma famille. Je suis certainement responsable de ce qu'on me rapproche et j'en souffre énormément. J'ai perdu ma famille. J'ai perdu mon travail. Mais je n’ai jamais favorisé quoi que ce soit qui se rapporte à la prostitution. Et je marche la tête haute car je suis certaine de ce que je dis. »
Jamais de retraits en banque et 6 700€ en liquide sur soi
Le vice-procureur Rodolphe Part fait alors remarquer : « Il n'y a quasiment aucun retrait dans les banques. Cela veut bien dire que vous avez beaucoup de liquide malgré votre train de vie anormalement bas. Une absence d'activité sur vos comptes est tout de même étrange. Et quand les policiers sont venus vous chercher, vous aviez tout de même plus de 6 700 euros en liquide avec vous ! ». Elle répond : « Je n'ai jamais à aucun moment pensé que j'étais dans le faux, dans l'illégalité. »
"Je lui ai dit qu'il fallait qu'elle fasse un tri dans ses clients"
Au tour de Marc Boléa de s'avancer devant le tribunal. "Lorsqu'il y a eu l'article de l'Éveil, je lui ai dit qu'il fallait qu'elle fasse un tri dans ses clients, déclare-t-il. Moi, j'allais occasionnellement aider Marie-Line pour le linge. Je n'ai jamais monté les étages de la Gazelle et je n'ai jamais mis les pieds dans l'immeuble de l'avenue Foch". Il continue : "Je me sens difficilement concerné par ce qu'il m'arrive. Il y a eu un déballage médiatique extraordinaire. Pour moi c'est dur. Pour ma famille, c'est insupportable. Et pour le blanchiment ? Le blanchiment de quoi ?Je n'ai jamais eu accès à ses comptes, ni à son argent liquide. Cet argent, je ne sais pas où il est passé car nous n'avons jamais fait des frais énormes. Nous vivions comme des gens normaux".
"J'ai dit que je regrettais. Point ! Dans la vie, il y a des hauts et des bas". Marc Boléa
"Pour le troisième point (obtention de relations de nature sexuelle contre rémunération), je reconnais les faits, admet le prévenu. J'ai vécu une période difficile. Mon couple n'allait pas très bien. Au total, j'ai vu trois prostituées. Mais en aucun cas, je ne me suis permis d'aller voir une personne qui allait à la Gazelle. C'était trois prostituées que je contactais sur Internet et que j'allais voir ailleurs qu'à la Gazelle". Rodolphe Part d’enchaîner : "En qualité d'élu, comment appréhendez-vous le fait d'avoir consommé une activité de prostitution ?". Réponse : "J'ai dit que je regrettais, point ! Dans la vie, il y a des hauts et des bas".
Acquittement pour Marc Boléa et le sursis pour Marie-Line Roux demandés par les avocats
Antoine Vey entame une plaidoirie de 40 minutes. Elle est brillante, se veut ouvertement sur-jouée avec des effets de manche assumés. Il fait ce qu'on attend de lui et martèle l'injustice née de l'emballement médiatique pour démonter un à un tous les éléments qui pourraient caractériser les délits reprochés à son client. À part celui d'avoir rendu visite à des prostituées par trois fois, ce qui est une infraction passible d'amende mais pas un crime.
"Il y a eu sur-médiatisation et violation manifeste du secret de l'enquête, livre Antoine Vey. Il y a eu aussi violation évidente du droit à la présomption d'innocence. Il n'y avait aucun élément à l'origine contre la vie de mon client dont on a violé la vie privée. Par la fuite organisée de l'information des noms de ces personnes, on a fait acte attentatoire à la présomption d'innocence. On juge ici un acte de la morale privée”.
"On ne déchaîne pas une enquête de police de cet acabit pour une contravention”. Antoine Vey
“L’enquête n’a rien établi malgré les surveillances effectuées pendant plusieurs mois. Il n’y a qu’un seul élément qui l’accable puisque la surveillance téléphonique permet de prouver qu’il a eu des relations avec des prostituées. La loi qui criminalise celui qui recourt à la prostitution ne prévoit qu’une contravention".
""96 heures sans hygiène et sans pitié, sans même pouvoir se laver les dents"
"Il faut que le tribunal protège le droit, continue Antoine Vey. Le jugement que vous allez rendre, s’il est favorable et bien, il passera à la poubelle car le mal est fait. C’est pourquoi, il n’y a qu’une alternative, celle de la relaxe". De son côté, la plaidoirie de Maître Aurélie Chambon pour Marie-Line Roux, dans un tout autre registre, n'est pas moins éloquente quand elle ouvre son propos par ces mots : "Vous allez juger cette femme et vous la condamnerez car la limite légale a été franchie. Mais, de grâce, ne la réduisez pas à quelques semaines ou quelques mois de sa vie durant lesquelles elle s'est laissée déborder et où elle s'est trouvée prise avec des difficultés qu'elle n'a pas su gérer".
Et d'égrener, elle aussi, la façon dont sa cliente a été malmenée et détruite par une garde à vue inhumaine : "96 heures sans hygiène et sans pitié, sans même pouvoir se laver les dents. C'est ça qu'a été son interrogatoire. On a voulu la faire craquer quand on lui a révélé que son compagnon Marc allait voir des prostituées et qu'il ne devait pas tenir tant que ça à elle". Elle dénonce la sur-réaction des enquêteurs face à une affaire qui n’est pas l’affaire du siècle, loin de là et que l’enquête et les moyens diligentés ont été démesurés.
Décision prononcée le jeudi 18 mars
“Mme Roux a eu une action sociale dans le cadre de l’accueil du 115 par exemple, rappelle Aurélie Chambon. On pouvait l’appeler à toute heure. Tout le monde l’appelait et elle trouvait toujours une solution. Elle n’a jamais laissé quelqu’un dehors. À un moment, ses valeurs humaines ont pris le pas sur ses considérations juridiques." Son avocate entame le volet du blanchiment : "On la décrit avec des sommes en espèces, en train d’aller les déposer à la banque, ce n'est pas la meilleure des façons de cacher des revenus occultes. Elle n’est pas capable de tricher”.
Après 35 minutes de plaidoirie, elle déclare : "Je vous demande de l’aider à relever la tête et à retrouver de la dignité pour effacer ses erreurs qui se sont déroulées sur une courte période. Voilà pourquoi je demanderai du sursis et pas d’interdiction de gérer, ni la confiscation des biens de la SCI [Société civile immobilière, Ndlr] que même monsieur le procureur général n’évoque que du bout des lèvres".
Au terme des audiences, la présidente du tribunal conclut finalement que le jugement est mis en délibéré et que la décision sera annoncée le 18 mars à l’audience de 14h30.
La presse a été souvent évoquée pour son rôle d'accélérateur et d'amplificateur de cette affaire par les deux avocats. C’est sans doute pourquoi ils ont choisi de ne pas s’exprimer devant elle à la fin du procès. Ils ne souhaitaient pas rajouter encore plus de pression médiatique à cette affaire déjà très médiatisée.
Affaire suivie par Nicolas DEFAY et Thierry CHABANON