Masques invendus : '''Tout le monde a bien compris la leçon dans notre corporation'''

, Mise à jour le 27/11/2020 à 09:07

"Dans le cas où une nouvelle pandémie recouvre la France et le monde entier et que les demandes de masques affluent comme elles l’ont été hier et le sont aujourd’hui, je ne procéderai pas de la même façon que début mars et avril. Je profiterai du système français incohérent en mettant toutes mes couturières au chômage partiel et en activant mes contacts en Tunisie pour faire travailler de la main d’œuvre pas chère. Je vendrai mes masques car le Gouvernement n’achète pas français et je n’aurai pas des tonnes de stocks à écouler. Et croyez-moi, tous mes confrères en France feront la même chose que moi."
Plus que de la trahison, Thierry Hayet ressent un abandon total de la part de l’État. Car, pendant que la France toque à la porte du continent asiatique pour s’équiper de 3,5 milliards de masques, elle tourne le dos aux 22 millions stockés dans les usines françaises, infligeant un avenir des plus moroses à des centaines d’établissements à la trésorerie dans le coma.

> Lire notre précédente interview de Thierry Hayet : 200 000 masques invendus, 600 000 euros de préjudice (26/06/2020)

----L'industrie textile française en berne : 
Aujourd’hui, la filiaire représente 2,3 % de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière en France.
Elle emploie 103 000 salariés.
Entre 1996 et 2015, elle perd 51 % de sa production, 40 % de sa valeur ajoutée, et 66 % de ses effectifs salariés.
En 2015, la France importe pour 36,5 milliards d’euros de produits textiles. Plus de la moitié des importations provient d’Asie, principalement de Chine, du Bangladesh, du Vietnam et d’Inde.
Dans l’habillement, l’activité industrielle en France est majoritairement celle de donneurs d’ordre industriels vers des sous-traitants étrangers.-----Il fédère les ateliers d’Auvergne pour subvenir aux besoins du pays
Début mars, le pays alors plongé dans un pénurie abyssale de masques sanitaires, les dirigeants de l’Hexagone pressent la filière textile française de produire des millions d’exemplaires destinés aux particuliers, aux entreprises et à tous les professionnels de santé en première ligne de la maladie. Ce même ordre de bataille est donné à Thierry Hayet et ses deux entreprises, à savoir Asti à Paulhac et Valdeco à Paulhaguet. "Devant l’urgence de la situation, j’ai réussi à fédérer plusieurs ateliers non seulement chez nous mais aussi dans le Puy-de-Dôme et le Cantal, se rappelle le chef d’entreprise. Nous étions contents de participer à cette bataille et cela m’a permis de laisser mes 150 couturières au travail sans avoir recours au chômage partiel. Mais lorsque l’État a fait affaire avec des pays étrangers, toutes nos ventes ont été stoppées." Aujourd’hui, Thierry Hayet traîne un préjudice de 600 000 euros constitués de tonnes de tissus prédécoupés inutilisés et d’un stock de 200 000 masques.

1 500 masques écoulés en dix jours
Malgré le port obligatoire du masque d'abord dans les transports en commun, puis dans les lieux publics clos depuis le 20 juillet, seuls 1 500 lui ont été achetés par des professionnels du territoire. "Je pense que les entreprises se sont équipées en masques jetables, explique Thierry Hayet. Je crois aussi que beaucoup de gens n’utilisent pas ces masques à usage unique de la bonne manière. Au lieu de le garder quelques heures, ils le mettent plusieurs jours d’affilée. Le mieux serait que chaque employé ait dix masques lavables par semaine. Les nôtres sont efficaces durant quatre heures d’affilée et peuvent encaisser vingt lavages sans altération de leurs qualités protectrices."
D’autre part, Thierry Hayet souligne ce paradoxe français où les personnages politiques ne cessent de planter le drapeau de l’écologie à chaque discours. C’est vrai qu’importer des masques jetables de Chine semble être à l’exact contraire des productions de Thierry Hayet. "Nous, comme toutes les autres entreprises françaises similaires à la mienne, confectionnons des produits réutilisables, avec des matières premières de chez nous et produites chez nous. Les commandes de l’État à plus de 10 000 km génèrent forcément une empreinte carbone immense, des déchets dans la nature et ne sont pas recyclables".

----Les entreprises, collectivités ou particuliers sont invités à se rendre sur le site www.savoirfaireensemble.fr pour passer leurs commandes et soutenir les 500 ateliers textiles français qui se sont mobilisés dès le début de la crise.-----Un avenir très incertain pour le textile en France
"Si j’arrive à écouler mon stock, après, c’est terminé ! Plus jamais je n’accéderai aux sollicitations du Gouvernement de cette façon. Tout le monde a bien compris la leçon dans notre corporation." Thierry Hayet exprime clairement et son aigreur et son inquiétude. "J’ai bien peur qu’il y ait deux vagues successives de crise économique pour notre filière, prédit-il. Une à l’automne avec des plans sociaux massifs et une au printemps prochain pour les dépôts de bilan à répétition." Thierry Hayet a repris ses activités d’avant confinement, à savoir la production d’éléments en textile haut-de-gamme. "Heureusement que nous avons ça et que l’euphorie du camping-car nous amène à confectionner beaucoup de housses de matelas, annonce-t-il. Mais pour des confrères, c’est un tout autre avenir qui les attend".

Nicolas Defay

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