Saint-Vincent : "C'est une atteinte à la laïcité et à nos valeurs"

Par JPo , Mise à jour le 09/05/2024 à 17:00

Soutenu par l'association SOS Calvaires et par l'évêque du Puy, un jeune couple de Saint-Vincent a décidé d'ériger un calvaire de 5 mètres de haut sur sa propriété. L'initiative bénéficie d'une grande campagne de communication, sur CNews notamment. Mais dans le village, un collectif d'habitants s'est constitué pour s'opposer à ce projet qu'ils qualifient de prosélyte et dont ils redoutent les conséquences. Zoomdici a assisté à l'une de leurs réunions, tenue le 30 avril dernier. 

 

"Ce monsieur est méprisant et condescendant à l'égard des catholiques. Il leur reproche de manquer de ferveur. Il les traite d'endormis. C'est un jugement moral. Les croyants du secteur n'ont pas de leçons à recevoir"

Mathieu Bourdilleau s'est installé avec sa famille dans le petit hameau paisible de Larcenac, sur la commune de Saint-Vincent. Se présentant comme un fervent catholique, engagé dans un certain nombre de structures liées au diocèse du Puy, il a lancé, au courant du mois de février dernier, une campagne de financement participatif, dans le but de faire ériger sur sa propriété un calvaire de cinq mètres de haut.

L'opération, qui a obtenu "le soutien total de l'évêque du Puy " est présentée comme la concrétisation d'une volonté familiale de "poser un acte de foi fort et visible", amené à devenir "le point de départ d'une dynamique d'évangélisation". Le monument devrait également devenir, selon Mathieu Bourdilleau "le point de ralliement" d'organisations religieuses diverses puisqu'il s'engage à mettre à leur disposition son terrain de "7000 m²". 

En un mois les fonds sont récoltés : 5500 euros et 92 donateurs. La plupart anonyme. 

L'évêque face à une partie des villageois 

"Tout le monde a été mis devant le fait accompli

Dès le lancement du projet, le bouche-à-oreilles fait son travail. Certains riverains tentent d'en savoir un peu davantage en interrogeant les élus de la municipalité. Mais Mathieu Bourdilleau n'a fait part de son projet à personne : "Notre vision de la religion, c'est le partage et le dialogue, l'ouverture, et là, on peut dire qu'on en est loin. Tout le monde a été mis devant le fait accompli" constate, dépitée, une des habitantes du village présente à la réunion. 

Alors les riverains décident de prendre les choses en main. Chacun en fonction de ses valeurs ou de ses intérêts. Ils s'informent comme ils le peuvent. Surfent sur le net. 

Une première réunion est organisée à la fin du mois de mars dernier à l'issue de laquelle une pétition est lancée. Elle demande l'abandon immédiat du projet qui pose selon eux de nombreux problèmes et parfois les perturbe en leur for intérieur. En tant que croyants pour certains. En tant que citoyens pour d'autres. 

Une partie des riverains opposés au projet s'est à nouveau réunie le 30 avril dernier Photo par jfp

Des risques de prosélytisme ?

"C'est quand même une manière assez violente (...) d'imposer aux autres ses propres convictions

Depuis la loi de 1905 concernant la séparation de l'Église et de l'État, il n'est plus possible d'édifier un calvaire ou tout autre monument religieux sur un emplacement public. Il demeure par contre tout à fait légal d'en édifier un sur un domaine privé. Mais pour certains habitants du village, "une croix de cinq mètres de haut, ça représente quand même une sacrée intrusion du religieux dans l'espace public", et puis "c'est tout de même une manière assez violente, au moins symboliquement, d'imposer aux autres ses propres convictions". 

"Ce projet fait du prosélytisme

Une partie d'entre eux voit même dans cette initiative une forme de prosélytisme : "Nous ne remettons pas en cause la liberté de chacun d'exprimer ses croyances, c'est un droit qui doit être respecté. D'ailleurs, il y a certains croyants parmi nous.  On pense par contre que ce droit doit s'exercer de manière raisonnable et un calvaire de cinq mètres, ça ne nous parait pas raisonnable justement. Ce projet fait du prosélytisme. Il est susceptible de mettre à mal la quiétude de notre petit village, pour cette raison et pour bien d'autres également."

De possibles troubles à l'ordre public ? 

" L'atteinte à la quiétude des riverains, c'est clairement un trouble à l'ordre public

Mathieu Bourdilleau l'a clairement signifié dans la vidéo de présentation de son projet, publiée sur la plateforme Credofunding : "Nous souhaitons que ce calvaire devienne un point de ralliement (...) en mettant à disposition notre terrain". C'est ici que le bât blesse également : "Larcenac, c'est un petit coin de paradis, paisible et verdoyant, traversé par une seule petite rue hyper étroite qui se termine en impasse. On vous laisse imaginer les problèmes qui pourraient découler de l'afflux de pèlerins : l'atteinte à la quiétude des riverains, c'est clairement un trouble à l'ordre public." 

Auquel pourrait, d'après une membre du collectif, s'en ajouter un autre : la présence ponctuelle, dans la commune, de militants d'extrême-droite. Le projet est effectivement soutenu et largement relayé par SOS Calvaires, une association controversée, souvent pointée du doigt pour sa proximité avec certains groupuscules extrémistes. 

"C'est un groupe de militants qui, politiquement, se positionnent clairement à l'extrême-droite"

Elle regroupe plusieurs centaines d'adhérents, compte de nombreuses antennes départementales et s'est fixé pour but d'ériger des croix et des calvaires sur l'ensemble du territoire français. Sur son site officiel, l'association se présente comme "apolitique et liée à aucun mouvement politique". Mais pour cette membre du collectif,  "c'est un groupe de militants qui, politiquement, se positionnent clairement à l'extrême droite".

" Il faut montrer (...) qu'on ne construit pas que des mosquées en France" Julien Le Page, président de SOS Calvaires 

À l'occasion d'une interview disponible sur YouTube, le président de Sos Calvaires, Julien Le Page, a effectivement présenté les objectifs de son association en des termes, il est vrai, pour le moins polémiques : "Il faut montrer (...) qu'on ne construit pas que des mosquées en France (...), un calvaire, c'est un étendard. C'est un drapeau qu'on plante. Ici, c'est une terre chrétienne".

Le même genre de propos est d'ailleurs repris par un des financeurs du projet de Saint-Vincent qui explique son choix de la manière suivante sur le site de financement : "En ces temps de croisade nécessaire, puisse votre projet être le ralliement d'un catholicisme régénéré et conquérant..."

"J'ai l'impression que la Haute-Loire est devenue depuis quelques années, une nouvelle terre de mission pour de nombreux groupes d'extrême-droite

Plus inquiétant encore : "Sur le compte Facebook de l'instigateur du projet, ce dernier est félicité par l'un de ses amis, Thibaut de Chassey qui n'est autre que le fondateur du Renouveau Français, un mouvement décrit par le Monde comme nationaliste et antisémite et qui ne rechigne pas à faire usage de la violence". La riveraine conclut, désemparée  : "J'ai l'impression que la Haute-Loire est devenue depuis quelques années une nouvelle terre de mission pour de nombreux groupes d'extrême-droite." 

Le combat des riverains ne fait que commencer 

Le maire de la commune, interpellé par les riverains, l'a précisé clairement : toutes les autorisations nécessaires à l'aboutissement de ce projet ont été déposées en mairie et tant que le Code de l'urbanisme était respecté rien ne pouvait, en l'état, s'opposer à cette démarche. Mais le collectif s'attache tout de même à recenser les éléments légaux susceptibles de leur donner raison en cas de recours éventuel devant le tribunal administratif.

Et de s'appuyer pour cela sur l'exemple de Saint-Denis-de-l'Hôtel, commune du Loiret, dans laquelle la municipalité a fait un recours contre le même type de projet en arguant que ce dernier trouvait place sur un terrain agricole qui n'avait de fait pas vocation à accueillir de symboles religieux. 

"Nous ferons tout pour empêcher que la quiétude et le vivre-ensemble (...) ne soient menacés"

Concernant les potentiels troubles et nuisances qui pourraient advenir si le projet voyait le jour, les riverains l'assurent : "nous ferons tout pour empêcher que la quiétude et le vivre-ensemble, qui sont la marque de notre village, ne soient menacés d'une manière ou d'une autre par ce projet." Ils sont soutenus en cela par le maire de la commune qui, en tant qu'officier de police judiciaire, s'est d'ores et déjà engagé à mettre tout en œuvre pour faire respecter l'ordre public et à intervenir le cas échéant. 

Car les risques de troubles sont possibles. Nonobstant le fait que les pèlerinages que souhaite organiser Mathieu Bourdilleau risquent de générer un trafic difficilement soutenable sur certaines des voies de la commune, le premier édile pourrait également avoir à gérer un autre type de troubles.

Un article de nos confrères de La République du Centre, en date du 10 juin 2022, cite les propos d'un habitant de Cercottes, une petite commune du Loiret qui a assisté, en 2021, à une procession organisée par SOS Calvaires suite à la rénovation d'un monument de la commune : "On n'était pas très à l'aise (...). Les prêtres étaient habillés avec des soutanes et, dans le même temps, ça détonnait avec des jeunes hommes qui étaient là, avec de gros tatouages, les cheveux coupés court..." Une autre procession de ce type a eu lieu l'année suivante à Saint-Denis-de-l'Hôtel. France 3 Val de Loire l'avait alors qualifiée d' "évènement prisé par l'ultradroite". 

Ni l'évêque du Puy, ni Mathieu Bourdilleau n'ont souhaité répondre, pour le moment, à nos sollicitations. Les représentants du collectif de riverains devraient rencontrer prochainement les responsables du Diocèse. 

Vous aimerez aussi

Vos commentaires

Se connecter ou s'inscrire pour poster un commentaire

6 commentaires

dim 12/05/2024 - 19:33

il faut raison garder sans oublier nos racines. Si chacun commence à ériger chez soi des mini monuments pour monter sa foi ou sa passion pour kekchose... 

ven 10/05/2024 - 16:56

La France est une terre chrétienne, ce n’est pas faire du prosélytisme que de dire cela, c’est de l’histoire. La loi sur la laïcité n’a pas effacé 15 siècles d’histoire, ou alors il aurait fallu détruire les milliers de monuments religieux catholiques parsemés sur notre territoire : cathédrales, abbayes, églises, monastères, chapelles, calvaires, statues,… sans parler de la toponymie où on ne compte plus les noms de villes ou villages commençant par Saint ou Sainte 

ven 10/05/2024 - 11:56

Je ne suis pas catholique pourtant je ne suis pas du tout choqué par ces croix, les gens font ce qu'ils veulent du moment qu'ils sont chez eux, de toutes façons, ça fait partie de notre culture, et ce n'est pas le moment de renier nos racines. Je suis en revanche très choqué que des prétendus catholiques se contrarient pour si peu.

ven 10/05/2024 - 09:02

L'évêque du Puy ?

Le diocèse continue à fermer les yeux sur l'envoi d'ados dans une communauté sulfureuse en Ardèche!

Pourtant elle a été pointée par la Miviludes pour suspicions de dérives sectaires et son dirigeant est convoqué au tribunal de Privas pour abus de faiblesse début juillet !!!

Quant aux paroisses du Puy, en leur "boutique" de la rue Crozatier, elles nient toute responsabilité...

J'oubliais... Ces bons cathos votent Zemmour. 40% des voix soit 130 "religieux" aux dernières présidentielles.

Le diocèse du Puy a touché le gros lot avec cet évêque...

jeu 09/05/2024 - 22:29

A rapprocher de la croix , qui à St-Etienne domine le centre - ville de ses 12 M. de haut et qui vient de voir son Christ recouvert d'or

Au nom de la vertu de la pauvreté évangélique sans doute ?

jeu 09/05/2024 - 18:02

La construction de ce calvaire s'inscrit pleinement dans la nouvelle évangélisation par l'Église catholique à laquelle l'évêque du Puy Yves Baumgarten est très sensible. Le prosélytisme religieux, quelque soit la religion ou la secte concernée, n'a pas sa place en France. Notre pays n'est pas une terre chrétienne, notre pays est une terre laïque ouverte à toutes les croyances. Conserver cette valeur est la garantie de notre paix sociale et de notre liberté de culte. Plein soutien au collectif de Saint-Vincent.