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Dossier : peut-on mettre fin à la guerre des prix dans l'agriculture ?
Dans le domaine agricole, Emmanuel Macron veut mettre fin à la guerre des prix. Il a annoncé son plan à Rungis ce mercredi 11 octobre à l'occasion des États généraux de l'alimentation. L’intervention présidentielle, très attendue, devait répondre à un problème majeur : comment mettre fin à la guerre des prix qui détruit de la valeur et paupérise les producteurs ?
Rappelons que selon la MSA (securité sociale des agriculteurs), le revenu moyen d'un agriculteur français se situe entre 1 083 et 1250 euros par mois. Sachant que cette moyenne inclut les plus grands revenus (des producteurs céréaliers par exemple), le revenu moyen d'un agriculteur bascule régulièrement sous la barre des 1 000 euros...
Construire un prix à partir du coût de revient
Concrètement, le Président Macron propose donc que les prix payés aux agriculteurs soient fixés à partir de leur coût de revient, sur lequel transformateurs et distributeurs appliquent ensuite leur marge, et non le contraire comme c’est le cas aujourd’hui.
À titre d'exemple, aujourd'hui, le prix moyen d'un yaourt au kilo est de 1,63 €. La matière première représente 0,25 €, la transformation 0,90 € et la distribution 0,40 € (ainsi que 0,08 € de TVA).
Ce sont donc les marges des transformateurs et distributeurs qui devraient être revues à la baisse, mais le bras de fer avec les industruiels s'annonce féroce... au risque de voir le prix en rayon augmenté, au grand dam des consommateurs, en bout de chaîne.
Les représentants des syndicats agricoles et les députés de Haute-Loire sondés
Pour approfondir ce dossier, nous avons contacté tour à tour Yannick Fialip, Président de la FDSEA de Haute-Loire, Anthony Faolle, Président des Jeunes Agriculteurs de Haute-Loire, Olivier Vacheron, le porte-parole de la confédération paysanne en Haute-Loire et Gérard Gros, le Président de la Coordination rurale de Haute-Loire.
Nous avons également joint les députés Isabelle Valentin et Jean-Pierre Vigier, puisqu'il s'agit d'une proposition législative, qui ont répondu dans un communiqué commun à retrouver en bas d'article.
"15 à 20 % de prix supplémentaire à la production" pour retrouver des marges
"Cette nouvelle construction du prix, nous l'avons proposée et elle nous semble intéressante", souligne Yannick Fialip, le Président de la FDSEA de Haute-Loire, avant d'ajouter : "on sera très très attentifs car on a déjà eu notre lot de déceptions avec les gouvernements précédents. On sait aussi qu'il y a une pression inversée de la part des distributeurs et il faudra des engagements très clairs du Président pour que début 2018 on sorte sur une loi qui pemette de rapidement mieux rémunérer les producteurs"
Selon lui, il ne manque pas grand chose pour que les producteurs retrouvent des marges : "15 à 20 % de prix supplémentaire à la production réglerait déjà de nombreux problèmes et pourrait générer des emplois dans des territoires difficiles comme le notre".
"On veut bien travailler dans les filières mais il faut nous laisser la possibilité juridique de le faire"
"On a mis sur la table le sujet de l'organisation des producteurs", se félicite le Président de la FDSEA 43. Aujourd'hui, le droit de la concurrence française et européenne interdit parfois les producteurs de pouvoir se réunir et discuter des prix avec les industriels. Emmanuel Macron s'est engagé à le réviser.
"On veut bien travailler dans les filières mais il faut nous laisser la possibilité juridique de le faire", assène-t-il, "c'est interdit depuis une dizaine d'années mais si on peut discuter autour d'une même table, on peut reconstruire les prix".
"On peut trouver des solutions sans que ça se répercute sur le budget des ménages"
La hausse des prix risque-t-elle de se faire au détriment du consommateur ? "Pour une bonne partie des produits, c'est juste une question de la répartition de la valeur ajoutée entre le transformateur, le distributeur et le producteur", répond-il, "il existe des marges abusives et on peut trouver des solutions sans que ça se répercute sur le budget des ménages. Par exemple sur un produit basique comme le lait, si on ajoute seulement deux centimes en rayon, le producteur peut revenir à un revenu décent, aux alentours de 350 € la tonne payée au producteur".
"Le modèle français permet de maintenir des standards de production plus élevés"
Des mesures suffisantes pour stopper la paupérisation du monde agricole ? "Le mot est fort, mais oui, on l'espère", rétorque-t-il, "on créé la vie tous les jours, on remplit les assiettes et le modèle français permet de maintenir des standards de production plus élevés que dans d'autres pays, c'est une demande sociétale, avec plus de qualité et plus de sanitaire que dans d'autres pays, et ça permet de garder un modèle d'agriculture basé sur la ferme familiale car en France, ce sont les agriculteurs qui détiennent les capitaux de leurs exploitations, et non des industriels qui emploient des salariés à bas coût et qui concentrent les ressources. J'espère que cette loi renforcera le modèle à la française".
----Le prix abusivement bas
Certains produits sont vendus en-dessous du coût de production des producteurs. Par exemple un gigot venant de Nouvelle-Zélande peut être vendu 7-8 € en supermarché, sauf que c'est le prix que devrait toucher le producteur au départ... On parle donc de prix abusivement bas. Il est question de mieux l'encadrer au travers de la loi.-----"On a souvent reproché aux gouvernements de ne pas savoir sur quel pied danser. Cette fois, il y a un cap"
Anthony Fayolle est le Président des Jeunes Agriculteurs de Haute-Loire. Pour lui, cette loi va "dans le bon sens, c'est une certitude", et il insiste sur le fait qu'il y a "longtemps que l'on réclame une construction du prix à partir du coût de revient". Il estime que cette loi est "encourageante, avec une vision globale qui responsabilise tout le monde" alors que le monde agricole a "souvent reproché aux divers gouvernements de ne pas savoir sur quel pied danser. Cette fois, il y a un cap".
Assurant qu'il restera "vigilant sur la façon dont va s'appliquer la loi", il juge "le fond est bon, il faut voir pour la mise en oeuvre", avant d'annoncer : "on va participer aux plans de filière et s'investir pour que les agriculteurs soient représentés au mieux".
"Le budget alimentation des ménages est faible donc si il y a une variation du prix en rayon, elle sera indolore et presque insignifiante"
Concernant un risque de répercussion sur le budget des ménages, il reconnaît que le risque est présent mais il se veut optimiste : "aujourd'hui, le budget alimentation des ménages est faible donc si il y a une variation du prix en rayon, elle sera indolore et presque insignifiante. la part du produit de la matière première est déjà très marginale dans les plats cuisinés", cite-t-il en exemple.
Favorable à l'encadrement des promotions, il souhaite que "les prix restent stables" et que les braderies soient "limitées au maximum" car "sinon, ça casse les prix et dévalue les cours. La grande distribution en a abusé, il faut arrêter et racheter la matière au prix juste".
Enfin il trouve que l'idée de regrouper les agriculteurs est une bonne chose, "mais ça existe déjà", avant de tempérer : "les OP (ndlr : organisations de producteurs) semblent un bon outil pour préserver le modèle à la française".
"On peut gagner un tiers de revenus supplémentaires avec la valorisation des productions par actif"
Olivier Vacheron est le porte-parole de la confédération paysanne en Haute-Loire. Il juge la loi positive mais il met en garde : "il faut être certain que les outils de régulation soient mis en place". "Interdire la vente à perte" et "arrêter la course à la surproduction" lui semblent deux piliers essentiels et il introduit une idée émise par son syndicat et non reprise par le Président Macron : la valorisation des productions par actif.
C'est à dire un prix rémunérateur pour un volume donné : par exemple, les 300 premiers agneaux sont à 8 € la carcasse, les 240 000 premiers litres à 400 € la tonne, les 50 premiers veaux à 4 € le kilo... une fois ce seuil dépassé, on rentre dans le système actuel avec le jeu de la concurrence.
"En limitant la production, on peut proposer un revenu de base, cohérent et décent pour chaque agriculteur", analyse le porte-parole de la confédération paysanne en Haute-Loire, "chacun peut ensuite augmenter sa production, on estime que l'on peut gagner un tiers de revenus supplémentaires avec ce dispositif".
----"En 2003 nous étions 3 200 laitiers et nous ne sommes plus que 1 500 aujourd'hui. En 2003, nous étions 1 000 éleveurs ovins et nous ne sommes plus que 400 en 2017... et depuis, il y a eu de multiples annonces des gouvernements successifs que tout irait mieux, mais les campagnes continuent de se vider", constate, sans vouloir verser dans le pessimisme, Olivier Vacheron.-----Lait : le prix a été multiplié par six entre le producteur et le consommateur
Olivier Vacheron se méfie des intérêts des grands industriels : "le gouvernement doit limiter la production des méga structures comme la ferme aux 1 000 vaches", et il dénonce "le double discours des élites", qui laissent se construire en Saône-et-Loire une ferme de 4 00 vaches, pointant du doigt une autre problématique : la concentration du foncier.
Est-ce le consommateur qui va payer cette hausse de prix ? "Il paie déjà énormément", ironise-t-il en prenant l'exemple du lait, "payé au producteur 30 centimes le litre". On en retire la moitié pour fabriquer du beurre, de la crème, etc. et "en rayon, le lait demi-écrémé est à 90 centimes le litre, donc le lait entier est valorisé à 1,80 € le litre donc le prix a été multiplié par six entre le producteur et le consommateur".
"Le producteur ne peut plus être la variable d'ajustement"
Gérard Gros, maire de Saint-Vidal, est le Président de la Coordination rurale de Haute-Loire. Comme ses homologues des autres syndicats, il est "favorable à cette loi" mais il s'interroge sur sa mise en oeuvre : "on a toujours dit qu'il fallait tenir compte des coûts de production pour fixer le prix, mais comment va s'appliquer cette loi ?". Transformateurs et distributeurs "ne vont pas réduire leur marge, ils vont peut être même l'augmenter", prophétise-t-il.
Alors comment ne pas répercuter cette variation des prix sur le consommateur ? "Les ménages ne s'en rendont pas compte, aujourd'hui, sur une baguette à 85 centimes, il n'y en a que trois pour le producteur donc la marge est énorme. Le producteur ne peut plus être la variable d'ajustement, à chaque fois, c'est l'agriculteur qui trinque, ça suffit".
"Il ne faut pas une mesurette mais une hausse des prix significative"
Déplorant qu'aujourd'hui, "il est interdit de vendre à perte, sauf dans l'agriculture", il souhaite voir le seuil de revente à perte relevé et bien appliqué. Pour lui, cette loi peut stopper l'hémorragie et freiner la paupérisation de la profession, si et seulement si la hausse de prix est conséquente : "il ne faut pas une mesurette mais une hausse des prix significative, et il faudra que tous jouent le jeu, notamment la grande distribution".
Favorable à une régulation de la production, il conclut: "aujourd'hui, les agriculteurs n'arrivent plus à vivre, plus ils produisent, moins ils y arrivent. Beaucoup s'endettent, certains se suicident... Il faut augmenter les prix, pas les volumes, et réguler la production à l'échelle européenne".
Nous avons également joint les députés Isabelle Valentin et Jean-Pierre Vigier, qui ont répondu à nos questions dans un communiqué commun puisqu'ils étaient à l'Assemblée Nationale.
Pensez-vous que les mesures proposées peuvent stopper la paupérisation de la profession agricole ?
Pour que nos agriculteurs puissent vivre du fruit de leur travail, ils ne doivent plus être la variable d’ajustement dans la fixation des prix. Ainsi, toute idée allant dans ce sens sera favorable à l’amélioration de leur situation financière et quotidienne très difficile aujourd’hui. Etablir des contrats basés sur les coûts de production va dans ce sens. Toutefois, il est désormais temps de passer aux actes. En effet, le Président de la République fait ses annonces la veille du débat parlementaire d’une proposition de loi sur l’agriculture. Celle-ci présente des solutions concrètes voire similaire sur certains points. La majorité en place l’a rejeté en bloc ce jeudi… cela tout en reconnaissant la pertinence de la proposition issue de l’opposition… Il y avait là l’occasion d’agir dès présent. Nos agriculteurs attendent des actes immédiats plutôt que des paroles afin d’améliorer leur rémunération. Ils devront attendre courant 2018…
Peut-on vraiment fixer les prix payés aux agriculteurs à partir du coût de revient ?
Avec un risque de répercuter la hausse des prix sur le dos des ménages? Une solution doit être absolument mise en place pour qu’une juste redistribution des marges soit faite entre le producteur, le transformateur et le distributeur, sans augmentation du prix du produit fini. Il est essentiel évidemment de tenir compte des coûts de production. Sinon, la situation de nos agriculteurs ne sera pas améliorée. Concrètement, pour une brique de lait qui coute 1€, le producteur touche entre 28 et 30 centimes. Pour que nos producteurs s’en sortent, il faut qu’ils touchent au minimum 35 centimes. Nous ne devons pas le répercuter sur les ménages. D’autres solutions doivent être mises en avant, notamment dans le rééquilibrage du rapport de force entre agriculteurs, industriels et grande distribution.
La revalorisation du seuil de revente a la perte, l’encadrement des promotions, la redéfinition du prix abusivement bas... Autant de bonnes mesures pour les agriculteurs de Haute-Loire ?
Oui cela va dans le bon sens pour notre territoire. Il faut revaloriser le travail de nos agriculteurs qui ne doivent plus être les victimes de la guerre des prix entre les enseignes. Donc, il ne faut plus tirer le prix des agriculteurs vers le bas avec la revente à perte par exemple. D’autres bonnes mesures existent encore et doivent aujourd’hui être mises en place : arrêter la surtransposition des normes européennes en droit français, baisser le coût du travail, valoriser l’agriculture de montagne en s’organisant en filière dans le but d’obtenir des produits de qualité, retrouver une agriculture compétitive en soutenant l’innovation et encore accompagner l’installation des jeunes. Certains de ces points figuraient dans la proposition de loi rejetée par la majorité en place. Ceci est vraiment dommageable sur un sujet qui devrait être consensuel.
Maxime Pitavy
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